Le père du DOGUE DE BORDEAUX
Voici ce qu’écrivait Joseph KUNSTLER en 1910 dans étude critique page 12 et 13. On ne peut que constater 108 ans après les mêmes rengaines (sinon qu’elles sont amplifiées par les réseaux sociaux) :
Bonne lecture
La mentalité générale des exposants est dominée par le désir des grands succès ; Ils ont pour leurs produits des yeux de pères trop indulgents, et rien ne leur parait quelquefois de nature à en égaler la beauté. Ils oublient, avec une étrange facilité que le juge ne saurait se confiner dans les hauteurs théoriques d’une controverse sans base précise ni matérielle….Ils oublient aussi qu’il se trouve dans l’obligation de faire les choses de telle façon qu’il puisse lui être possible de porter la tête haute, sans encourir la réprobation justifiée des intéressés et du public, comme sans s’exposer à perdre le sentiment du devoir accompli. Il n’est pas toujours aisé de concilier judicieusement les conceptions scientifiques et théoriques, avec les réalités pratiques et courantes, car, dans toute l’acceptation du mot, il n’existe pas de chiens parfaits. Une tâche aussi ardue peut laisser la place libre à bien des doutes. S’il est vrai que l’erreur est un apanage inséparable de toute humanité, n’y-a-t-il pas lieu de considérer que les juges sont des hommes…et les exposants aussi ? La grande majorité des réclamations porte à faux, et, à part d’honorables exceptions, le flot des réclamants empressés à se mettre en avant est quelquefois constitué de personnages qui pourraient avoir d’excellentes raisons de se taire et de ne pas trop attirer l’attention, tant sur leur discutable personne que sur leurs douteux agissements.
Les réclamations portent en moyenne sur la compétence, la conscience, les exigences des juges. N’est-il pas légitimement possible, par exemple, de demander quelque distinction aux animaux exposés, et n’y aurait-il que la vulgarité qui puisse être méritoire ?
Pour les rustiques beaucerons, notamment, les juges ont préféré un poil moins rude et des formes moins épaisses. Qu’ont fait certains éleveurs ? Ils n’ont pas hésité à croiser leurs chiens avec des danois pour obtenir la taille élancée et la finesse du poil. Ils leur ont ainsi conféré une certaine aristocratie de la forme et de la constitution. Mais ils ont dénaturé la race au lieu de la perfectionner, et ils n’hésitent pas à rejeter la responsabilité de leurs tristes manipulations sur leurs juges qui n’y peuvent rien.
En réalité, ils se sont laissés guider par une fâcheuse recherche des gains rapides, selon la loi du moindre effort. Ils ont délaissé la recherche sportive et sincère d’un type supérieur pour aboutir à une race qui ne ressemble plus au véritable chien de berger de la Beauce. Ils ont fait un chien très difficile à élever, très fragile, craignant le froid et la chaleur, qui, mis à la garde des troupeaux, au lieu de pincer les moutons, selon la règle, mord comme le danois. D’un bon chien, ils ont fait moins utile, quoique plus grande et plus prestigieuse.
Mais qui donc est responsable de cette fausse manœuvre ? Sont-ce les juges ou les éleveurs ? Les premiers peuvent répondre qu’ils ont bien le droit de souhaiter une évolution progressive, qui, du reste, est indispensable. Mais, pour cela, ils n’imposent point des croisements dégradables ; ils ne demandent pas de créer des races nouvelles ou, si l’on préfère, des types inédits et ils ne désirent que voir perfectionner les anciens, par la reproduction des meilleurs sujets.
En repoussant toute idée de croisement, nous avons réclamé nous-mêmes, dans notre discours à la Société du Dogue de Bordeaux, un mouvement progressif que nous considérons comme nécessaire.
« La reconstitution de notre Dogue doit être avant tout sincère, avons-nous dit. Mais pour ne pas chérir les falsifications, nous n’en serons pas moins dévoués au progrès. Il est avéré que, de nos jours, toutes les races de chiens suivent une marche ascendante, subissent un développement progressif, en dehors desquels il ne peut y avoir qu’une irrémédiable décadence, et nous ne saurions songer à soustraire notre chien bordelais aux lois impérieuses du progrès nécessaire, pour en faire une exception malheureuse en présence d’un incontestable mouvement général vers un état plus perfectionné.
La voie à suivre est donc indiquée.
Il faut perfectionner notre héros, le débarrasser des monstruosités conventionnelles dont on se plait à l’accabler sous le prétexte plus ou moins plausible que ce seraient là des mérites supérieurs. Il est indispensable de refuser de marcher sur les traces de gens trop habiles, qui réussissent à faire accepter de déplorables tares, dont ils ne parviennent pas à dépêtrer leurs produits, pour les grandes qualités départies à la seule élite. Il faut surtout bannir les manières d’être vulgaires et sans beauté. Nous nous refuserons de tomber en extase devant des lèvres bavantes, des paupières tombantes et enflammées, des nez écrasés garnis de plis permanents, des cous trop courts et d’une grosseur disproportionnée, des allures lourdes et affalées, des formes communes et sans noblesse. Nous accorderons nos préférences aux ensembles harmonieux, aux démarches élastiques et fières, aux attitudes générales calmes, aristocratiques, dignes, fortes et réfléchies, aux formes synthétiques, alliant bien les particularités anciennes avec les exigences nouvelles, de façon à unir judicieusement la force et l’élégance.
Mais rejeter les hideurs conventionnelles et inesthétiques, élucubrées par des mentalités mal douées du sens de l’idéal, rechercher le type fort, intelligent, élégant et noble, n’est ce pas vouloir mettre d’accord deux facteurs d’apparence bien opposée, poursuivre la convergence de deux idéals divergents et malaisés à concilier ?
Chien puissant, trapu, d’une figure carrée, et d’une musculature supérieure, le Dogue de Bordeaux ne doit, certes, pas être modifié dans ses traits caractéristiques, et ce n’est qu’avec la plus extrême prudence qu’on peut lui faire subir le minimum d’altération possible, dans le sens de l’élégance nécessaire à son introduction dans le monde. Sans sacrifier aucun caractère fondamental, sans rechercher une métamorphose profonde, nous arriverons à transformer un Dogue sévère, inflexible et lourd, en un compagnon aimable, élégant et distingué. La moindre aristocratie, fruit ordinaire de l’élevage dirigé et de l’éducation normale, suffira à une telle tâche chez un animal doué par lui-même des plus nobles qualités. Celui-ci ne restera plus alors un pauvre chien, vivant à la chaine, sans prestance comme sans santé. Son maitre sera fier d’un si beau compagnon, aussi fidèle que sûr, il le promènera avec joie, le montrera sous ses beaux jours. La race ne pourra que bénéficier d’un changement de mœurs et d’état susceptible de développer ses meilleures aptitudes.
Il faudra conserver son caractère sérieux, sa taille non exagérée, son faciès caractéristique, et si nous abandonnerons sans trop de regrets l’excès de plis, les babines trop tombantes, trop souvent complétées par des abdomens disgracieux, nous sélectionnerons l’élégance aimable, l’aristocratie d’aspect, les belles et bonnes proportions anatomiques. Car il y a vraiment de qui être lassé de ces pseudo-dogues qui ne sont que des décalques de bouledogues ou des réductions de mastiffs, de dogues allemands ou de chiens du St Bernard.
En fait, les croisements sont, le plus souvent des médiocres agents de perfectionnement des races. Ce sont des sortes de pis-aller perturbateurs. On les adopte surtout à cause de la facilité avec laquelle ils permettent de créer des types de rencontre plus ou moins déconcertants, des simili-races capables d’égarer parfois les juges dont la bonne foi peut ainsi être surprise. Bien rarement il en découle des résultats très enviables.
KUNSTLER